Olivier Clerc, écrivain philosophe, aborde l’histoire surprenante du bambou chinois dans le livre La grenouille qui ne savait pas qu’elle était cuite … et autres leçons de vie. L’auteur invite, à travers sept courts récits allégoriques, à la réflexion.

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Quelque part, la leçon du bambou chinois fait écho à mon histoire personnelle de fibromyalgique.

Fut un temps, j’étais hyperactive. Je privilégiais le « faire » sur « l’être ». En effet, je m’évertuais à faire tout plein de choses en pensant à tout plein de choses. Il y avait toujours une activité à mener de manière à fuir le repos. Je ne voulais pas m’octroyer ce moment de « rien », de « vide » car il présupposait de me heurter à ma solitude, de me rencontrer.

En comparaison, aujourd’hui, j’ai l’impression de stagner (voire de reculer). Ma vie est au point mort me semble-t-il. Je ne travaille plus du fait de l’arrêt maladie, je passe beaucoup de temps à reposer mon corps douloureux et épuisé à cause de la fibromyalgie : lecture, télévision et autres activités douces occupent mon temps. De fait, parfois, j’admets, je me juge sévèrement en considérant que je ne suis pas une bonne maman, une bonne chérie ou une bonne maîtresse de maison : ça me fend alors le cœur. Et, au-delà de la souffrance physique s’insinue, sournoisement, la souffrance morale. Double peine.

Mais, finalement, n’est-il pas intéressant d’aller au-delà de cette apparence ?

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Parlons un peu de jardin …

Si l’on veut planter le bambou chinois, il faut s’armer de patience.

Une fois que la graine de bambou est semée, on ne voit rien pendant grosso modo cinq ans. La racine s’étend verticalement et horizontalement dans la terre, un réseau sous-terrain dense et solide. Elle se construit de façon complexe et, pourtant, rien ne se voit en surface. Grâce à ses racines très fortes, le bambou peut, au bout de cinq longues années, grandir très rapidement fort de ce développement invisible.

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Ce n’est pas parce que l’on ne voit rien qu’il ne se passe rien. En fait, même si j’ai le sentiment de ne rien faire, je cultive ma maturation intérieure. J’apprends à faire avec la fibromyalgie, je m’adapte. A vrai dire, je suis en mue.

J’investis du temps avec beaucoup de bienveillance et d’amour à mon être et, pourtant, rien ne se passe. Mais, je suis intimement convaincue que, comme le bambou chinois, je saurai me (re)lever. En effet, je crois vraiment qu’un réel changement brusque et instantané pourrait être le résultat de ma lente évolution, souvent, imperceptible aux yeux de l’autre. Je fais confiance à ce que je suis en train de construire avec persévérance, même en l’absence de preuves tangibles. Je crois que le fruit de mon travail sortira au grand jour et le résultat en vaudra la peine.

Dans le domaine du développement personnel, tous les outils que je mets en œuvre pour vivre au mieux avec la fibromyalgie, permettront une percée, une nouvelle façon d’être au monde. L’idée est d’accéder à un nouvel état de bien-être, malgré la maladie, forte du réseau de racines que je construis jour après jour à l’aide de la sophrologie, l’hypnothérapie, de la magnétothérapie, de l’acupuncture, du yoga, de la méditation … Je prends le temps de me constituer lentement, solidement, de manière profonde et multiple de façon à envisager une poussée visible qui me permettra de sortir grandie de cette épreuve. Ce lent travail aura des résultats. J’en suis convaincue.

En outre, ce temps, où il ne se passe rien de façon visible, me permet aussi de me rencontrer. J’apprends à prendre en considération mon corps et ses limites. J’apprends à doser mes activités en alternant régulièrement les phases d’activité (pas forcément intenses) et les phases de repos qui permettent à mon corps de tenir sur la durée. La procrastination est un luxe que je m’autorise avec bienveillance. Il m’arrive encore de succomber à l’envie d’en faire plus dès lors qu’une journée est un peu meilleure … un piège à éviter ! Après coup, je me dis qu’il vaut peut-être mieux deux ou trois journées remplies d’activités modérées plutôt qu’une journée excessive suivie de deux jours de récupération. Non ? S’il le faut, certains jours, je fais une pause après avoir pris ma douche, après me laver les dents, après m’être habillée … car ce sont des actions qui demandent trop d’efforts à mon corps douloureux et épuisé … pas grave, je les fais à mon rythme et je ne baisse pas les bras.

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Je vais me permettre de faire mention du titre d’un autre ouvrage d’Olivier Clerc : « Même lorsqu’elle recule, la rivière avance » qui ne fait que confirmer cette idée. On a l’impression de régresser ou de stagner. On porte alors des jugements sévères sur nous-mêmes en étant très critiques. Et, pourtant, on peut se rendre compte a posteriori que ce cheminement était indispensable pour avancer le plus rapidement. Par ailleurs, l’auteur démontre aussi que les épreuves peuvent se révéler donner tout leur sens, toute leur pertinence au parcours de tout un chacun.

« Quoi qu’il arrive, la bonne question est : Qu’est-ce que j’ai à apprendre de cette situation ? » C’est dans l’épreuve que la force intérieure se construit. » écrit Estelle Daves, psychothérapeute, conceptrice et formatrice de la Libération Psycho Emotionnelle.

Je crois qu’il est fondamental d’accepter que la vie avec la fibromyalgie ne sera jamais plus celle que j’avais avant … Ceci étant, j’apprends à l’accepter et à faire avec ce repos restructurant : j’ai bien conscience que mon corps ne peut pas aller au-delà et supporter plus pour le moment. Je ne suis plus dans le « faire » à tout prix. Je chemine pour apprivoiser mon « être ».

Les chemins difficiles mènent souvent à de merveilleuses destinations … […]

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